Introduit par l‘ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme a restreint l’intérêt à agir des tiers contre un permis, en prévoyant que :

Une personne autre que l’État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation.

Une première incertitude, concernant l’entrée en vigueur de ces dispositions, avait été levée par le Conseil d’État, dans un avis du 18 juin 2014, commenté dans ce précédent article.

Une seconde incertitude portait, d’une part, sur l’étendue de la charge de la preuve pesant sur le requérant et, d’autre part, sur la nature du contrôle auquel doit se livrer le juge administratif en vue d’apprécier l’intérêt à agir de ce dernier.

Sur ce point, par un arrêt du 10 juin 2015 (req. n°386121), le Conseil d’État précise qu’il résulte des dispositions de l’article L. 600-1-2 « qu’il appartient à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ». Le défendeur est tenu, quant à lui, « s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité« .

Suite à ce débat, il appartient « au juge de l’excès de pouvoir de former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci« .

Le requérant doit ainsi faire preuve d’une certaine prudence en produisant tous les éléments démontrant l’atteinte portée par le projet autorisé aux conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien. En effet, même s’il n’est pas tenu d’en prouver le caractère certain, il devra en tout état de cause apporter suffisamment d’éléments pour emporter la conviction du juge.

Le Conseil d’État était saisi du pourvoi formé contre une ordonnance du juge des référés rejetant une demande de suspension dirigée contre un permis délivré en vue de la réalisation d’une station de conversion électrique. Il retient que « les circonstances, invoquées par les requérants, que leurs habitations respectives soient situées à environ 700 mètres de la station en projet et que celle-ci puisse être visible depuis ces habitations ne suffisent pas, par elles-mêmes, à faire regarder sa construction comme de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des biens des requérants« .

En revanche, le Conseil d’État considère que les nuisances sonores alléguées par les requérants, « en se prévalant des nuisances qu’ils subissent en raison de l’existence d’une autre station de conversion implantée à 1,6 km de leurs habitations respectives« , suffisait à faire regarder le projet de station de conversion électrique « comme de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des maisons d’habitation des requérants« . Il a ainsi écarté l’argument soulevé par le bénéficiaire du permis, suivant lequel le recours à un type de construction et à une technologie différents permettait d’éviter la survenance de telles nuisances.

Peu de décisions ont été rendues, à ce jour, par le Conseil d’État ou par des Cours Administratives d’Appel sur le fondement des dispositions de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, celles-ci n’étant opposables qu’aux recours formés contre des permis intervenus après l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 18 juillet 2013 (c’est-à-dire le 19 août 2013).

Quelques décisions peuvent toutefois être signalées, en plus de celle rendue par le Conseil d’État le 10 juin 2015.

La Cour Administrative d’Appel de Marseille a écarté, dans un arrêt du 1er octobre 2015 (req. n°15MA01278), les allégations du requérant tirées « des conséquences du projet, en des termes généraux, sur les conditions de la circulation et du stationnement automobile sur La Canebière et sur l’augmentation du volume d’ordures ménagères à collecter« , en se fondant sur la distance entre le fonds exploité par le requérant et le projet de construction. Le requérant n’avait donc pas intérêt à agir.

De même, dans un arrêt du 24 juillet 2015 (req. n°14NT02410), la Cour Administrative d’Appel de Nantes a écarté l’intérêt à agir du requérant, propriétaire de parcelles situées à environ 150 mètres du projet de construction, en constatant que ces parcelles étaient « des terrains à usage agricole, sur lesquels la construction projetée n’aura aucune incidence directe« , même si « le projet litigieux conduit à étendre une construction dans un secteur naturel protégé« .