Pour tirer le blog de sa torpeur estivale, signalons ces récents avis contentieux du Conseil d’État, rendus le 18 juin 2014, qui lèvent une partie des incertitudes relatives à l’application dans le temps de la réforme du contentieux de l’urbanisme issue de l’ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013 (mentionnés dans l’AJDA n°23-2014 du 30 juin 2014, note R. Grand).
Le Conseil d’État était en effet saisi d’une première demande d’avis, présentée sur le fondement de l’article L. 113-1 du code de justice administrative par le Tribunal Administratif de Pau, afin de « savoir si les dispositions des articles L. 600-1-2, L. 600-1-3, L. 600-5 et L. 600-7 du code de l’urbanisme, issues de l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, sont ou non applicables aux instances introduites avant son entrée en vigueur ». La seconde demande d’avis, transmise par la Cour Administrative d’Appel de Nantes, concernait notamment l’applicabilité des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme au jugement d’annulation rendu antérieurement à l’entrée en vigueur de ces dispositions.
Le texte des arrêts peut être consulté ici et là :
Conseil d’État, avis du 18 juin 2014, SCI Mounou et a., req. n°376113
Conseil d’État, avis du 18 juin 2014, Société Batimalo et Commune de Saint-Malo, req. n°376760
Il me semble utile de rappeler succinctement la portée des dispositions en cause.
L’article L. 600-1-2 et L. 600-1-3 du code de l’urbanisme portent sur la définition et sur l’appréciation de l’intérêt à agir du requérant. L’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, modifié par l’ordonnance du 18 juillet 2013, prévoit désormais que le juge administratif peut, lorsqu’il estime qu’un vice n’affectant qu’une partie du projet autorisé peut être régularisé par un permis modificatif, limiter à cette seule partie la portée de l’annulation qu’il prononce et, le cas échéant, fixer le délai dans lequel le bénéficiaire du permis pour demander la régularisation. Dans le même esprit, l’article L. 600-5-1 du code donne au juge administratif le pouvoir d’inviter les parties à régulariser un permis entaché d’un vice (affectant cette fois la totalité du permis) susceptible de faire l’objet d’un permis modificatif. En ce qui concerne l’article L. 600-7, ouvrant la possibilité au juge de condamner l’auteur d’un recours abusif à indemniser le bénéficiaire du permis, je vous invite à relire mon article du 6 juin 2014.
Le Conseil d’État a dû examiner si ces nouvelles règles affectaient la substance du droit de former un recours ou si elles instituaient simplement des règles de procédure concernant les pouvoirs du juge administratif. Dans le premier cas, en effet, les règles ne sont applicables qu’aux recours formés contre les décisions intervenues après leur entrée en vigueur, sans quoi elles priveraient le justiciable d’un droit. Dans le second cas, en revanche, elles sont d’application immédiate, quelle que soit la date à laquelle est intervenue la décision contestée et peuvent même être appliquées en appel pour la première fois.
Très logiquement, le Conseil d’État considère que les nouvelles dispositions relatives à l’intérêt à agir (articles L. 600-1-2 et L. 600-1-3) affectent la substance du droit de former un recours et sont donc applicables, en l’absence de dispositions contraires expresses, aux recours formés contre les permis intervenus après l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 18 juillet 2013 (c’est-à-dire le 19 août 2013). On pouvait difficilement envisager qu’une fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir, fondée sur les nouvelles dispositions, puisse être opposée à l’auteur d’un recours enregistré avant leur entrée en vigueur.
En revanche, les dispositions de l’article L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme concernent, selon la haute juridiction, « des règles de procédure concernant exclusivement les pouvoirs du juge administratif en matière de contentieux de l’urbanisme » et sont donc d’application immédiate aux instances en cours. Ainsi (tel était le sens de la question de la Cour Administrative d’Appel de Nantes), le juge d’appel peut décider de faire application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme alors même que le jugement d’annulation dont il est saisi a été rendu avant l’entrée en vigueur de ces dispositions.
Le Conseil d’État retient la même solution pour les dispositions de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme, qui sont donc d’application immédiate aux instances en cours. C’était donc à tort que j’estimais, dans mon article du 6 juin, que des conclusions indemnitaires présentées sur le fondement de ces dispositions, dans le cadre de recours formés avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 18 juillet 2013, pouvaient être rejetées comme irrecevables. La solution est discutable puisque ces dispositions peuvent également être interprétées comme susceptibles d’affecter la substance du droit de former un recours. Cependant, eu égard au caractère restrictif de la jurisprudence rendue sur leur fondement, l’avis du Conseil d’État ne devrait pas avoir d’incidence significative sur le droit des requérants – légitimes – de contester la légalité des autorisations d’urbanisme devant le juge administratif.