Les dispositions de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, qui définissent de façon restrictive l’intérêt à agir des personnes privées (autres que les associations) contre les permis de construire, d’aménager et de démolir ont été largement commentées, tant en ce qui concerne leur pertinence que leurs modalités d’application. Pour une analyse globale de cette remise en cause de la conception traditionnelle de l’intérêt à agir en contentieux administratif, je vous invite à lire l’excellent article de M. Fabrice Melleray, publié dans l’AJDA n°27 du 28 juillet 2014 (pp. 1530-1537).

Rappelons que, sur le fondement de ces dispositions, « une personne autre que l’État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation ». Pour simplifier, il appartient désormais au requérant de démontrer que la construction, l’aménagement ou les travaux autorisés par le permis qu’il conteste portent atteinte à son bien.

En pratique, ces dispositions ne se démarquent pas réellement de la jurisprudence antérieure, qui liait généralement l’intérêt à agir contre l’autorisation d’urbanisme à la qualité de voisin. Elles sont ainsi conformes à l’esprit du rapport LabetoulleConstruction et droit au recours : pour un meilleur équilibre »), qui exposait : « Cet équilibre, autant le dire clairement, ne se démarque pas franchement de la jurisprudence qui s’est développée en l’absence de texte, et ne le pourrait d’ailleurs pas sans toucher à des principes supérieurs (ainsi d’une formulation qui aurait reposé sur un critère de visibilité) ; mais sa consécration législative serait sans doute reçue par les juridictions comme un signal les invitant à retenir une approche un peu plus restrictive de l’intérêt pour agir. ». Les quelques arrêts faisant application des dispositions de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme – tout en indiquant que celles-ci n’étaient applicables à l’instance en cause – semblent confirmer, du reste, que l’intérêt à agir reste attaché à la qualité de voisin (par exemple Cour Administrative d’Appel de Nantes, 18 avril 2014, SCI Maxyss, req. n°13NT00971, cons. 2, Cour Administrative d’Appel de Marseille, 10 avril 2014, req. n°12MA03072, cons. 6 ou Cour Administrative d’Appel de Lyon, 4 février 2014, req. n°13LY01727, cons. 4).

Le Conseil d’État a déjà précisé, dans un récent arrêt, qu’en tant qu’elles affectent le droit de former un recours, ces dispositions ne sont applicables qu’aux recours formés contre les permis intervenus après l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 18 juillet 2013 (voir mon article du 19 juillet 2014).

Il a ensuite été saisi de la question de la conformité de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution et, en particulier, au droit au recours effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Dans un arrêt du 27 juin 2014, Society of architects and developers (req. n°380645), le Conseil d’État a considéré que cette question prioritaire de constitutionnalité n’était pas nouvelle et ne présentait pas de caractère sérieux et qu’il n’y avait donc pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

3. Considérant que la Society of architects and developers soutient que les dispositions citées ci-dessus portent une atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction, tel qu’il est garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; que, toutefois, les décisions statuant sur les permis de construire, de démolir ou d’aménager, prises dans le cadre de la police spéciale de l’urbanisme, ont pour objet de contrôler que les projets en cause sont conformes aux règles d’urbanisme relatives à l’utilisation des sols, à l’implantation, la destination, la nature, l’architecture, les dimensions, l’assainissement des constructions et à l’aménagement de leurs abords ; que les dispositions contestées de l’article L. 600-1-2, définissant les conditions de recevabilité auxquelles sont soumis les recours dirigés contre les permis de construire, de démolir ou d’aménager, poursuivent un objectif d’intérêt général, consistant à prévenir le risque d’insécurité juridique auquel ces actes sont exposés ainsi que les contestations abusives ; qu’eu égard au champ d’application de ces dispositions, à la portée des décisions en cause et aux critères de recevabilité retenus, le moyen tiré de ce que ces dispositions porteraient atteinte aux garanties de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en restreignant excessivement le droit au recours ne peut être regardé comme ayant un caractère sérieux ;

Cette décision est donc fondée sur l’intérêt général consistant à prévenir le risque d’insécurité juridique auquel les permis sont exposés. Cet objectif avait déjà été pris en considération par le conseil constitutionnel dans sa décision du 17 juin 2011, Association Vivraviry (n°2011-138 QPC), à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre les dispositions de l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme, restreignant la recevabilité des recours formés par les associations : « 6. Considérant qu’en adoptant l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme, le législateur a souhaité empêcher les associations, qui se créent aux seules fins de s’opposer aux décisions individuelles relatives à l’occupation ou à l’utilisation des sols, de contester celles-ci ; qu’ainsi, il a entendu limiter le risque d’insécurité juridique ».

Eu égard à la portée pratique relativement limitée des dispositions de l’article L. 600-1-2 du code, qui ne remettent pas fondamentalement en cause les critères jurisprudentiels antérieurs et qui visent principalement à lutter contre les requérants se constituant artificiellement un intérêt à agir, cette décision apparaît en somme tout à fait logique.