L’ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013, complétée par le décret n°2013-879 du 1er octobre 2013, a profondément modifié le contentieux des autorisations d’urbanisme afin de prévenir les recours qualifiés d’ « abusifs ».

Elle insère notamment un nouvel article L. 600-7 au sein du code de l’urbanisme, permettant au bénéficiaire du permis de construire, d’aménager ou de démolir de présenter, à titre reconventionnel, des conclusions indemnitaires à l’encontre du requérant.

Cette mesure, proposée par le rapport Labetoulle remis le 25 avril 2013 à la ministre de l’Égalité des territoires et du Logement, apparaissait comme un « moyen de dissuasion très fort », pour reprendre les termes de la ministre, à l’encontre des recours intéressés.

Pourtant, l’intérêt pratique des dispositions de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme apparaît très limité.

D’un point de vue théorique, certes, ces dispositions sont révolutionnaires.

Traditionnellement, en effet, la possibilité de présenter des conclusions reconventionnelles en dommages-intérêts à l’encontre du requérant était totalement exclue dans le cadre du recours en excès de pouvoir, relevant du contentieux objectif de la légalité (Conseil d’État, 24 novembre 1967, Noble, req. n°66271 ; Conseil d’État, 4 février 2004, Beule, req. n° 253855). La possibilité ouverte par l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme constitue donc une importante dérogation aux principes gouvernant le recours en excès de pouvoir. Du reste, il ne s’agit pas de la seule innovation de l’ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013, qui a offert au juge administratif d’autres pouvoirs que ceux qui lui sont habituellement reconnus dans le cadre du recours en excès de pouvoir.

Revenons-en à l’aspect pratique de cette faculté ouverte au bénéficiaire du permis.

Tout d’abord, la possibilité de solliciter des dommages-intérêts en cas de recours abusif formé contre une autorisation d’urbanisme n’est pas nouvelle.

En effet, si des conclusions indemnitaires ne pouvaient être formées devant le juge administratif, le bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme pouvait parfaitement saisir le juge civil, sur le fondement classique des dispositions de l’article 1382 du code civil. Le bénéficiaire du permis devait alors démontrer que l’auteur du recours avait agi à son encontre avec l’intention de lui nuire, de mauvaise foi ou à la suite d’une erreur grossière équipollente au dol (voir Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, 20 avril 2010, RG n° 09/09188). En d’autres termes, il lui fallait prouver que le recours en cause avait « été inspiré non par des considérations visant à l’observation des règles d’urbanisme mais par la volonté de nuire aux droits du bénéficiaire » (Cour de cassation, 5 juin 2012, pourvoi n°11-17.919).

Les conditions fixées par l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme apparaissent encore plus restrictives, puisqu’il faut que le bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme démontre, d’une part, que le droit au recours a été « mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant » et, d’autre part, que le recours lui cause « un préjudice excessif ».

La Cour Administrative d’Appel de Marseille a eu l’occasion de se prononcer sur des conclusions indemnitaires fondées sur ces dispositions, dans quatre arrêts rendus le 6 mars et le 20 mars 2014.

Ces conclusions auraient pu être rejetées comme irrecevables, dès lors que les recours avaient été formés avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 18 juillet 2013. En effet, en raison du délai d’instruction des recours devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, ces dernières sont souvent amenées à se prononcer sur des recours déposés plusieurs années auparavant.

La Cour Administrative d’Appel de Marseille a cependant considéré « que ces dispositions sont applicables aux litiges en cours à la date de leur entrée en vigueur dès lors qu’elles n’affectent pas de manière substantielle le droit de former un recours » (Cour Administrative d’Appel de Marseille, 20 mars 2014, Association Bien vivre aux Restanques, req. n°13MA03143). Elle a également écarté une question prioritaire de constitutionnalité, ainsi que le moyen tiré de l’inconstitutionnalité de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme (moyen cependant jugé recevable faute de ratification expresse de l’ordonnance du 18 juillet 2013 par le législateur) (Cour Administrative d’Appel de Marseille, 20 mars 2014, req. n°13MA02236).

Très logiquement, le juge a retenu qu’il n’y avait pas lieu de faire droit aux conclusions indemnitaires fondées sur l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme lorsque le requérant faisait appel d’un jugement ne prononçant qu’une annulation partielle du permis de construire qu’il contestait (Cour Administrative d’Appel de Marseille, 6 mars 2014, req. n°12MA02615). Cette décision n’est guère surprenante car le recours formé contre l’autorisation d’urbanisme était fondé, même si la portée de l’annulation n’a pas satisfait les requérants qui ont interjeté appel du jugement.

Le troisième arrêt rendu par la même Cour le 20 mars 2014 est beaucoup plus intéressant (Cour Administrative d’Appel de Marseille, 20 mars 2014, req. n°13MA02161).

La Cour était en effet saisie d’un appel formé contre une ordonnance déclarant une requête manifestement irrecevable en raison du défaut d’intérêt à agir du requérant. Dans cette ordonnance, le président de la deuxième chambre du tribunal administratif de Marseille avait considéré que le requérant avait commis une manœuvre en vue de se constituer – artificiellement – un intérêt à agir légitime.

Le juge d’appel a confirmé l’ordonnance en retenant l’existence d’ « une manœuvre consistant pour le requérant à tenter, par l’acquisition [d’un] appartement, de se constituer artificiellement un intérêt à agir, qui ne peut dès lors être qu’un intérêt autre qu’urbanistique ».

Le raisonnement suivi par la Cour Administrative d’Appel de Marseille concernant l’intérêt à agir du requérant est très intéressant et cette question précise mériterait un prochain article dans ce blog. Dans le cadre de la présente étude, on peut cependant retenir que le juge d’appel a entendu sanctionner un recours apparemment abusif.

Le bénéficiaire du permis de construire avait, par ailleurs, présenté des conclusions reconventionnelles sur le fondement de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme. Ces conclusions indemnitaires ne semblaient pas hors de propos, dans la mesure où le recours relevait assez clairement de la catégorie de recours que le rapport Labetoulle entendait prévenir.

La Cour Administrative d’Appel a logiquement retenu qu’il résultait des considérants précédents de l’arrêt « que les conditions dans lesquelles le recours pour excès de pouvoir contre le permis de construire (…) a été mis en œuvre excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant ». La première condition est donc remplie.

En revanche, le juge a considéré que si le bénéficiaire du permis de construire faisant valoir « que le recours (…) a engendré un préjudice financier correspondant aux conséquences du retard pris dans la réalisation du projet et un préjudice moral résultant de l’atteinte à l’image de la SAS vis-à-vis des ses financeurs, clients et partenaires », il ne justifiait pas « du caractère excessif de ce préjudice au regard de celui qu’aurait pu causer un recours exercé dans des conditions n’excédant pas la défense des intérêts légitimes d’un quelconque requérant ».

Cette appréciation est particulièrement sévère, puisque le juge apprécie le caractère excessif du préjudice subi suite au recours abusif par rapport à celui qui aurait pu résulter d’un recours légitime. Or, potentiellement, tout permis faisant l’objet d’un recours abusif aurait pu faire l’objet d’un recours légitime, de sorte que la démonstration du caractère excessif du préjudice est, sinon impossible, très difficile.

Cette interprétation des dispositions de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme pourra décevoir les promoteurs et constructeurs subissant les recours des tiers. Elle rassurera cependant les requérants de bonne foi qui pouvaient légitimement craindre que ces dispositions ne constituent un moyen de dissuader facilement toute contestation des autorisations d’urbanisme.