Le requérant qui souhaite contester une autorisation d’urbanisme au motif que celle-ci aurait été obtenue par fraude se trouve généralement démuni devant les juridictions administratives. En effet, le pétitionnaire atteste, suivant les mentions de la demande de permis ou de la déclaration préalable, « avoir qualité pour déposer » cette demande et « certifie exacts les renseignements fournis ». Les moyens tirés du caractère inexact des informations mentionnées dans la demande d’autorisation sont donc en principe irrecevables.

Dans son fameux arrêt Quenesson du 15 février 2012 (n°333631), le Conseil d’État a jugé qu’il n’appartenait pas à l’autorité administrative de vérifier si le pétitionnaire avait qualité pour déposer la demande d’autorisation, dès lors que ce dernier attestait remplir les conditions prévues à l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme.

Cette contestation est d’autant plus irrecevable qu’elle concerne généralement les limites du droit de propriété du pétitionnaire. Or, suivant la formule jurisprudentielle, l’autorisation d’urbanisme est délivrée « sous réserve du droit du tiers ». Le litige pourra éventuellement être porté devant le juge civil, mais il ne pourra entraîner l’annulation du permis ou de la décision de non-opposition à déclaration préalable devant le juge administratif.

Ce principe n’a cependant pas vocation à s’appliquer lorsqu’il est démontré que l’autorisation d’urbanisme a été obtenue par fraude. Suivant l’adage « fraus omnia corrumpit » (la fraude corrompt tout), la jurisprudence (et notamment l’arrêt Quenesson susvisé) considère que l’autorisation doit être annulée lorsque le pétitionnaire a « procédé à une manœuvre de nature à induire l’administration en erreur et que la décision de non-opposition [a] ainsi été obtenue par fraude ».

La fraude alléguée est cependant rarement reconnue par le juge administratif dans le cadre du recours formé contre l’autorisation d’urbanisme contestée. Il en est de même lorsque c’est le pétitionnaire qui conteste une décision de refus de permis ou d’opposition à déclaration préalable fondée sur le caractère frauduleux de sa demande, ainsi que l’a précisé le Conseil d’État dans un (très récent) arrêt du 23 mars 2015 (n°348261).

Le litige portait sur une décision d’opposition à déclaration préalable, déposée en vue de l’édification d’une clôture dont le tracé était visiblement contesté. Le Tribunal Administratif de Nice avait rejeté le recours formé par les pétitionnaires contre la décision d’opposition, en se fondant sur des décisions de justice rendues dans le cadre d’une action en bornage et dans celui d’une action en revendication de propriété.

Le Conseil d’État censure ce raisonnement en retenant, en premier lieu, qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que les pétitionnaires n’auraient pas fourni l’attestation prévue par l’article R. 431-35 du code de l’urbanisme (suivant laquelle ils avaient qualité pour déposer la déclaration préalable) ou « qu’ils auraient procédé à une manœuvre en vue d’obtenir par fraude que le maire (…) ne s’oppose pas à leur projet ». Après avoir ainsi écarté la fraude, le Conseil d’État examine, en second lieu, la portée des décisions judiciaires visées par le jugement du Tribunal Administratif. Il considère, à cet égard, qu’il ne résultait pas de ces décisions « eu égard à leur portée, que les déclarants ne disposaient pas du droit à déposer cette déclaration en application de l’article R. 423-1 du même code ». En effet, la première était intervenue dans le cadre d’une action en bornage, qui ne tranche pas la question de la propriété d’un fonds mais en détermine seulement la délimitation matérielle, tandis que la seconde était postérieure à l’arrêté.

Dans le cas d’espèce, la portée pratique de ce raisonnement était plutôt limitée, puisque, réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État a annulé la décision d’opposition au motif que la déclaration préalable n’était pas exigée par le code de l’urbanisme et par le plan d’occupation des sols.

L’arrêt n’en demeure pas moins intéressant, puisque le Conseil d’État rappelle « que les autorisations d’utilisation du sol, qui ont pour seul objet de s’assurer de la conformité des travaux qu’elles autorisent avec la législation et la réglementation d’urbanisme, étant accordées sous réserve du droit des tiers, il n’appartient pas à l’autorité compétente de vérifier, dans le cadre de l’instruction d’une déclaration ou d’une demande de permis, la validité de l’attestation établie par le demandeur » et que « les tiers ne sauraient donc utilement, pour contester une décision accordant une telle autorisation au vu de l’attestation requise, faire grief à l’administration de ne pas en avoir vérifié l’exactitude ».

Mais au-delà de ce rappel, le Conseil d’État précise que « lorsque l’autorité saisie d’une telle déclaration ou d’une demande de permis de construire vient à disposer au moment où elle statue, sans avoir à procéder à une instruction lui permettant de les recueillir, d’informations de nature à établir son caractère frauduleux ou faisant apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que le pétitionnaire ne dispose, contrairement à ce qu’implique l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme, d’aucun droit à la déposer, il lui revient de s’opposer à la déclaration ou de refuser la demande de permis pour ce motif ».

En d’autres termes, l’autorité administrative n’est pas obligée de vérifier l’exactitude de l’attestation du pétitionnaire, mais, lorsqu’elle a connaissance d’informations établissant le caractère frauduleux de la demande ou le défaut de qualité du pétitionnaire pour déposer cette demande, elle est tenue de refuser de délivrer le permis ou de s’opposer à la déclaration préalable.