Par une décision du 5 décembre 2014 (req. n°369522), le Conseil d’État a reconnu que, pour la demande de suspension formée contre un arrêté de cessibilité sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la condition d’urgence devait être regardée, en principe, comme remplie. Il a ainsi établi une véritable présomption d’urgence, qui ne peut être écartée que si l’expropriant justifie de circonstances particulières, telles qu’un intérêt public s’attachant à la réalisation rapide du projet.

Les requérants avaient demandé au juge des référés du Tribunal Administratif de Melun de suspendre trois décisions distinctes, correspondant à trois étapes de la même opération d’expropriation : la déclaration d’utilité publique (DUP) portant sur l’acquisition d’une parcelle leur appartenant en vue de permettre la réalisation de logement sociaux, la délibération du conseil municipal sollicitant cette DUP et l’arrêté de cessibilité. Ces demandes étaient à la fois formées sur les dispositions « générales » de l’article L. 521-1 du code de justice administrative et sur celles des articles L. 554-11 et 554-12 du même code, portant sur les demandes de suspension des décisions prises après conclusions défavorables du commissaire-enquêteur ou en l’absence d’étude d’impact. Ces demandes ayant été rejetées par le juge des référés du Tribunal Administratif, les requérants ont saisi le Conseil d’État.

En ce qui concerne la demande de suspension formée contre la DUP, le Conseil d’État a constaté que cette décision avait été annulée par le tribunal administratif statuant au fond, postérieurement au pourvoi. Il en a logiquement déduit que les conclusions des requérants étaient, sur ce point, devenues sans objet et qu’il n’y avait donc pas lieu de statuer. En ce qui concerne la demande de suspension formée contre la délibération du conseil municipal sollicitant du préfet une DUP, le Conseil d’État a rappelé qu’une telle décision revêtait le caractère d’une mesure préparatoire, insusceptible de recours. La demande de suspension formée contre cette délibération était ainsi, en tout état de cause, irrecevable.

La décision du Conseil d’État en plus intéressante en ce qui concerne la demande de suspension formée contre l’arrêté de cessibilité, qui avait été rejetée par le juge des référés du Tribunal Administratif pour défaut d’urgence.

Il convient de rappeler que les dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative subordonnent la suspension d’une décision administrative faisant l’objet d’une requête en annulation ou en réformation à la démonstration, d’une part, d’une urgence et, d’autre part, d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision. La condition d’urgence implique que le requérant démontre que la décision dont il demande la suspension préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à sa situation ou aux intérêts qu’il entend défendre (CE, Section, 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres, n°228815). Cette démonstration est généralement délicate, à l’exception des hypothèses où la condition d’urgence est présumée remplie.

Dans sa décision du 5 décembre 2014, le Conseil d’État considère précisément « qu’eu égard à l’objet d’un arrêté de cessibilité, à ses effets pour les propriétaires concernés et à la brièveté du délai susceptible de s’écouler entre sa transmission au juge de l’expropriation, pouvant intervenir à tout moment, et l’ordonnance de ce dernier envoyant l’expropriant en possession, la condition d’urgence à laquelle est subordonné l’octroi d’une mesure de suspension en application de l’article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée, en principe, comme remplie ». Il ajoute « qu’il peut toutefois en aller autrement dans le cas où l’expropriant justifie de circonstances particulières, en particulier si un intérêt public s’attache à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l’expropriation ».

Ce régime est donc particulièrement favorable au requérant, qui n’aura pas à démontrer que la condition d’urgence est remplie. Il appartiendra, au contraire, à l’expropriant de justifier de circonstances particulières liées à une nécessité de réaliser rapidement le projet d’expropriation (c’est-à-dire, en quelque sorte, d’une « urgence à ne pas suspendre » la décision). Cette présomption rappelle celle existant pour les demandes de suspension formées contre un permis de construire : si la condition d’urgence doit en principe être constatée lorsque les travaux autorisés vont commencer ou ont déjà commencé sans pour autant être achevés, il en va autrement lorsque le bénéficiaire du permis démontre qu’un intérêt public s’attache à la réalisation de ces travaux (pour un exemple récent : CE, 8 juillet 2015, SARL Pompes Funèbres Lexoviennes, req. n°385043).