Madame Christine Maugüé, conseillère d’État, avait remis le 11 janvier 2018 un rapport intitulé « Propositions pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace », comprenant 23 mesures destinées à réduire les délais de jugement des recours dirigés contre les autorisations d’urbanisme, à consolider les autorisations existantes et à accroître la stabilité juridique des constructions achevées.

Le décret n°2018-617 du 17 juillet 2018 reprend certaines de ces mesures et institue les nouveautés suivantes, ici résumées dans l’ordre du décret :

Obligation de confirmation de la requête « au fond » par le requérant en cas de rejet de son référé-suspension(article R. 612-5 du code de justice administrative) : attention au « désistement d’office » !

L’article 2 du décret insère un article R. 612-5-2 au sein du code de justice administrative, prévoyant qu’en cas de rejet d’une demande de suspension justifiée par l’absence de moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision (ce qui exclut l’hypothèse du rejet pour défaut d’urgence), il appartiendra au requérant, sauf lorsqu’un pourvoi en cassation est formé contre l’ordonnance du juge des référés, de confirmer le maintien de sa requête au fond, dans un délai d’un mois à compter de la notification du rejet de la demande de suspension. À défaut, le requérant sera réputé s’être désisté de sa requête.

Cette nouvelle disposition, qui ne semble pas propre au contentieux de l’urbanisme, peut se comprendre : généralement, l’auteur d’un référé-suspension a tenté de soulever la plupart des moyens pertinents contre la décision qu’il conteste et, si le juge des référés rejette sa demande de suspension en considérant qu’en l’état de l’instruction, aucun de ces moyens ne lui paraît propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette décision, sa requête en annulation ou en réformation présente un intérêt moindre. Moindre, mais pas inexistant, car des moyens pertinents ont pu échapper au requérant (qui n’était peut-être pas assisté au stade du référé, au surplus).

L’obligation de confirmation du recours au fond en cas de rejet de la demande de suspension risque cependant de générer des « désistements d’office », non souhaités par les requérants négligeants. C’est sans doute la raison pour laquelle le décret prévoit que la notification de l’ordonnance de rejet devra mentionner qu’à défaut de confirmation du maintien de la requête au fond, le requérant sera réputé s’être désisté.

Prolongation de la suppression de l’appel en « zone tendue » (article R. 811-1-1 du code de justice administrative) : jusqu’au 31 décembre 2022.

Le décret du 17 juillet 2018 prolonge jusqu’au 31 décembre 2022 la suppression de l’appel pour les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement dans les communes situées en « zone tendue », initialement prévue par l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative jusqu’au 1er décembre 2018.

Nouvelle formulation de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme : un champ d’application plus large de l’obligation de notification.

Le décret modifie la formulation du fameux article R. 600-1 du code de l’urbanisme, prévoyant l’obligation, pour le requérant, de notifier son recours (administratif ou contentieux) formé à l’encontre d’un certificat d’urbanisme ou d’une autorisation d’urbanisme à l’auteur de la décision et à son bénéficiaire, en remplaçant la formule « à l’encontre d’un certificat d’urbanisme, d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir » par la suivante « à l’encontre d’un certificat d’urbanisme ou d’une décision relative à l’occupation ou l’utilisation du sol régie par le présent code ».

La formule, plus générale, permet de s’interroger : la notification devra-t-elle également concerner, comme autrefois, les documents d’urbanisme ?

Ce n’est pas l’esprit du rapport de Madame Maugüé, qui visait des recours visant à remettre en cause des autorisations d’urbanisme, mais non concernés par l’obligation de notification instituée par l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme : contestation des refus de retirer ou d’abroger un permis ou de constater sa caducité, par exemple.

En premier lieu, il apparaît que l’obligation de notification par les auteurs de recours contentieux et gracieux de leurs recours, posée à l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, dont l’origine remonte à la loi n° 94-112 du 9 février 1994 portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et de construction, pourrait voir son champ actuel (non opposition à déclaration préalable, permis de construire, d’aménager ou démolir) élargi à l’ensemble des décisions relatives à l’occupation ou l’utilisation du sol afin de concerner également les refus de retirer ou d’abroger un acte ou de constater sa caducité, lesquels sont également de nature à remettre en cause une autorisation. Mention expresse devra être laissée des certificats d’urbanisme, qui sont aujourd’hui énumérés à l’article R. 600-1 et que la substitution à l’énumération actuelle de la notion de « décision relative à l’occupation ou l’utilisation du sol » aurait pour effet de laisser en dehors du champ de l’obligation de notification du recours.

Mais prudence est mère de sûreté…

Réduction du délai de recours après achèvement des travaux d’un an à six mois (article R. 600-3 du code de l’urbanisme) : un renforcement bienvenu de la sécurité juridique du propriétaire.

Le décret réduit d’un an à six mois le délai à compter duquel, après achèvement de la construction ou de l’aménagement autorisé, aucune action en vue de l’annulation du permis de construire ou d’aménager ou de la décision de non-opposition à déclaration préalable ne pourra être formé (article R. 600-3 du code de l’urbanisme).

Cette modification vise manifestement à renforcer la sécurité juridique du propriétaire une fois la construction achevée, comme le préconisait le rapport de Madame Maugüé.

L’obligation, pour le requérant, de produire les pièces justifiant son intérêt à agir (article R. 600-4 du code de l’urbanisme) : une contrainte supplémentaire et un risque d’irrecevabilité à ne pas négliger.

Le décret du 17 juillet 2018 vient encore renforcer les obligations pesant sur le requérant dans le cadre de la démonstration de son intérêt à agir.

En effet, conformément aux dispositions de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, issues de l’ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013, le requérant « tiers » n’est recevable à contester le permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux autorisés sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’il détient ou occupe régulièrement ou pour lequel il bénéficie d’une promesse de vente, de bail ou d’un contrat préliminaire.

La jurisprudence est venue préciser l’étendue des obligations du requérant, qui doit « préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien » (Conseil d’État, 10 juin 2015, req. n°386121).

Le nouvel article R. 600-4 du code de l’urbanisme, issu du décret n°2018-617 impose au surplus au requérant, à peine d’irrecevabilité, de joindre à sa requête le titre de propriété, la promesse de vente, le bail, le contrat préliminaire ou « tout autre acte de nature à établir le caractère régulier de l’occupation ou de la détention de son bien ».

De même, s’agissant des associations, le même article prévoit que la requête devra, sous peine d’irrecevabilité, être accompagnée des statuts de l’association, ainsi que du récépissé attestant de sa déclaration en préfecture.

En revanche, cette obligation « n’est pas applicable aux décisions contestées par le pétitionnaire », ce qui semble logique au regard des objectifs poursuivis par le décret.

La sanction de l’absence de production de ces pièces est très sévère, puisqu’elle entraîne l’irrecevabilité du recours. Les requérants devront donc être extrêmement vigilants.

Cristallisation automatique des moyens de légalité soulevés au soutien du recours formé contre une autorisation d’urbanisme (article R. 600-5 du code de l’urbanisme) : délai de deux mois suivant la communication du premier mémoire en défense.

Le décret du 17 juillet 2018 institue une « cristallisation automatique » des moyens soulevés au soutien du recours formé contre une autorisation d’urbanisme, dans un délai de deux mois suivant la communication du premier mémoire en défense (article R. 600-5 du code de l’urbanisme, issu du décret).

Le débat contentieux pouvait d’ores et déjà être cristallisé sur le fondement des dispositions de l’article R. 611-7-1 du code de justice administrative, suivant lesquelles « lorsque l’affaire est en état d’être jugée, le président de la formation de jugement ou, au Conseil d’Etat, le président de la chambre chargée de l’instruction peut, sans clore l’instruction, fixer par ordonnance la date à compter de laquelle les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux« . La mise en oeuvre de ces dispositions impliquait toutefois que le juge considère que l’affaire est en état d’être jugé, ce qui n’est pas toujours évident.

Il convient de constater que le délai de deux mois court à compter du premier mémoire en défense. Dans le cadre des recours formés contre une autorisation d’urbanisme, des écritures en défense peuvent être déposées par l’autorité administrative, mais également par le bénéficiaire du permis. En se référant au « premier mémoire en défense« , le décret évite de faire dépendre l’automaticité de la cristallisation des moyens des diligences de l’un ou de l’autre des défendeurs.

Fixation d’un délai de jugement de dix mois pour les recours formés contre certaines autorisations d’urbanisme (article R. 600-6 du code de l’urbanisme)

De plus, l’article R. 600-6 du code de l’urbanisme, également issu du décret, prévoit un délai maximal du jugement de dix mois pour les recours formés contre un permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements et contre les permis d’aménager un lotissement.

Le décret ne prévoit cependant pas de sanction particulière pour l’obligation du juge de statuer dans un délai de dix mois.

Attestations de non recours (article R. 600-7 du code de l’urbanisme) : un renforcement de la sécurité juridique

L’article R. 600-7 du code de l’urbanisme, inséré par le décret du 17 juillet 2018, ouvre la possibilité, pour « toute personne », de se faire délivrer par le greffe de la juridiction devant laquelle un recours est susceptible d’être formé contre une autorisation d’urbanisme ou contre un jugement portant sur une telle décision, une attestation de non recours ou, si un recours ou un appel a été formé, un document indiquant la date d’enregistrement de ce recours ou appel. De la même manière, une attestation de non pourvoi contre un jugement ou un arrêt pourra être délivré par le secrétariat de la section du contentieux du Conseil d’État.

Cette attestation de non recours sera nécessairement fragile, car elle n’exclut pas, si les délais de recours n’ont pas commencé à courir (en l’absence d’affichage du permis sur le terrain, par exemple), qu’un recours soit ultérieurement formé.