Par une décision n°2025-896 DC du 20 novembre 2025, le conseil constitutionnel, saisi par plusieurs députés, a décidé de censurer partiellement la loi de simplification du droit de l’urbanisme, qui comporte plusieurs dispositions relatives au contentieux de l’urbanisme. Il a en revanche déclaré conformes à la Constitution certaines de ces dispositions. Sa décision est riche en enseignements.
Le principe de la « cristallisation », à la date de délivrance du permis de construire initial, des règles d’urbanisme applicables à l’examen d’une demande de permis de construire modificatif.
Le conseil constitutionnel se prononçait sur les dispositions issues de la loi de simplification du droit de l’urbanisme prévoyant qu’une demande de permis de construire modifiant un permis initial en cours de validité ne peut en principe être refusée ou assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme intervenues après la délivrance du permis initial.
Il considère que ces dispositions ne méconnaissent pas la charte de l’environnement dès lors qu’elles ne concernent que l’hypothèse où les travaux initialement autorisés n’ont pas encore été achevés, qu’elles ne portent que sur une durée de trois ans à compter de la délivrance du permis initial et qu’elles ne font pas obstacle à l’application de règles autres que les règles d’urbanisme ayant objet la protection de l’environnement.
On peut cependant s’interroger sur l’application de ces nouvelles dispositions dans le cadre du dispositif prévu par l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme permettant au juge administratif de surseoir à statuer dans l’attente de la régularisation d’un vice de légalité affectant un permis par un permis modificatif, même si les travaux autorisés par le permis initial n’ont pas encore été achevés (Conseil d’Etat, 22 février 2017, req. n°392998, Lebon).
La contestation des vices de forme ou de procédure des documents d’urbanisme par voie d’exception.
La loi de simplification du droit de l’urbanisme abroge l’article L. 600-1 du code de l’urbanisme aux termes duquel « l‘illégalité pour vice de forme ou de procédure d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’une carte communale ou d’un document d’urbanisme en tenant lieu ne peut être invoquée par voie d’exception, après l’expiration d’un délai de six mois à compter de la prise d’effet du document en cause ».
Sans surprise, le conseil constitutionnel considère que l’abrogation de ces dispositions dérogatoires au régime de droit commun poursuit un objectif d’intérêt général (« le risque d’instabilité juridique pouvant résulter de la multiplicité des contestations de la légalité externe de ces actes réglementaires, ainsi que simplifier le droit de l’urbanisme en lui appliquant le régime de droit commun des exceptions d’illégalité ») et qu’elle n’a ni pour objet, ni pour effet de limiter la possibilité de contester la légalité externe du document d’urbanisme par voie d’action.
La censure de la restriction des recours contre les documents d’urbanisme aux seules personnes qui ont pris part à la participation du public organisée à cette décision.
La loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement insérait un nouvel alinéa à l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme prévoyant qu’ « une personne autre que l’État, les collectivités territoriales ou un de leurs groupements n’est recevable à agir contre la décision d’approbation d’un document d’urbanisme ou de son évolution que si elle a pris part à la participation du public effectuée par enquête publique, par voie électronique ou par mise à disposition organisée avant cette décision contestée ».
Cette nouvelle disposition constituait une grave atteinte au droit au recours et à l’accès au juge, pouvant avoir de très lourdes conséquences pour les administrés. En effet, les mesures de publicité permettant d’informer le public de l’ouverture de l’enquête publique sont plutôt légères : publication d’un avis d’enquête publique dans deux journaux régionaux ou locaux à deux reprises (15 jours au moins avant le début de l’enquête et au cours des huit premiers jours de l’enquête) et affichage en mairie, ainsi que sur certains points du territoire de la commune. Par conséquent, sauf à lire quotidiennement les annonces légales et parcourir le territoire de la commune, l’administré peut aisément passer à côté de l’information. Par ailleurs, l’enquête publique ne dure qu’entre 30 jours et deux mois, avec un nombre limité de permanences du commissaire-enquêteur ou de la commission d’enquête en mairie. Il est fréquent que des administrés manquent la phase de l’enquête publique, sans qu’il puisse leur être reproché un réel manque de diligence.
Les conséquences de l’approbation ou de la modification d’un plan local d’urbanisme peuvent s’avérer très importantes pour un propriétaire, puisqu’elles sont notamment susceptibles d’aboutir au classement d’un terrain précédemment constructible en zone non constructible (agricole ou naturelle), avec une baisse drastique de leur valeur vénale. Les propriétaires concernés se verraient ainsi privés de toute possibilité de contester cette décision s’ils n’ont pas préalablement participé à l’enquête publique (c’est-à-dire pendant la courte fenêtre d’un à deux mois). Le projet de plan local d’urbanisme peut par ailleurs faire l’objet de modifications postérieurement à cette enquête publique, parfois de façon défavorable aux intérêts du propriétaire.
Le conseil constitutionnel censure cette nouvelle disposition en considérant qu’ « en subordonnant la recevabilité du recours contre une telle décision à la condition de prendre part à la participation du public organisée préalablement, ces dispositions, dont la portée est au demeurant imprécise, privent la personne de la possibilité de former un recours direct même lorsqu’elle n’a pas pu avoir connaissance, au stade de la consultation du public, de l’illégalité éventuelle de cette décision, y compris lorsque cette illégalité résulte de modifications ou de circonstances postérieures à la clôture de la procédure de participation du public ». Il fait le lien avec la disposition précédemment examinée en soulignant que « la possibilité ouverte à toute personne de contester la légalité de cette décision, soit par voie d’exception, soit à l’occasion d’un recours contre le refus de l’abroger, ne permet, en application du régime contentieux de droit commun rendu applicable par le 4° du paragraphe I de l’article 26 de la loi déférée, ni d’invoquer certains vices de légalité externe, ni d’obtenir l’annulation rétroactive de la décision ». Il en déduit que la disposition méconnaît les exigences résultant de l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
La réduction du délai de recours gracieux à un mois et la suppression de la prorogation liée à l’exercice d’un recours gracieux
La loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement insère dans le code de l’urbanisme un article L. 600-12-2 du code de l’urbanisme suivant lequel « le délai d’introduction d’un recours gracieux ou d’un recours hiérarchique à l’encontre d’une décision relative à une autorisation d’urbanisme est d’un mois. Le silence gardé pendant plus de deux mois sur ce recours par l’autorité compétente vaut décision de rejet. « Le délai de recours contentieux contre une décision mentionnée au premier alinéa n’est pas prorogé par l’exercice d’un recours gracieux ou d’un recours hiérarchique. »
Cette nouvelle disposition déroge au principe fondamental suivant lequel l’exercice d’un recours gracieux proroge le délai de recours contentieux (article L. 411-2 du code de l’urbanisme), ce qui est doublement incompréhensible.
En premier lieu, cette réforme va à l’encontre de la volonté affichée par le législateur de favoriser le règlement amiable des litiges. Le recours gracieux permet en effet au requérant et au bénéficiaire de l’autorisation d’engager des discussions amiables pour réduire l’atteinte portée par le projet de construction aux droits du premier, ce qui permet d’éviter une procédure devant le juge administratif et, parfois, devant le juge civil, puisque l’accord permet de régler définitivement d’éventuels et futurs litiges liés à des atteintes au droit de propriété ou à des troubles anormaux de voisinage. Le fait que l’exercice de ce recours gracieux proroge le délai de recours contentieux est, à cet égard, capital, puisque, si les parties n’arrivent pas à trouver ou à finaliser un accord à la fin de délai ainsi prorogé, l’administré ne perd pas la possibilité de saisir le juge administratif.
En second lieu, cette réforme aura pour effet d’augmenter le nombre de recours contentieux devant le juge administratif. En effet, dès lors que le recours gracieux n’a plus pour effet de proroger le délai de recours contentieux, la prudence imposera au requérant de former directement, au moins à titre conservatoire, une requête contre l’autorisation d’urbanisme litigieuse.
Le conseil constitutionnel ne censure pas la disposition, mais il apporte plusieurs précisions importantes.
Il considère tout d’abord qu’il n’y a aucune différence de traitement entre le bénéficiaires d’une autorisation d’urbanisme et les pétitionnaires dont la demande d’autorisation a été rejetée dans la mesure où « il ressort des travaux préparatoires qu’en instituant un tel régime pour toute « décision relative à une autorisation d’urbanisme », le législateur a entendu le rendre applicable non seulement aux décisions de non-opposition à une déclaration préalable ou aux permis de construire, d’aménager ou de démolir, mais également aux décisions de retrait d’une autorisation ou aux décisions de refus opposées à une demande d’autorisation ». En d’autres termes, le dispositif s’applique non seulement aux recours contre des autorisations d’urbanisme, mais également aux recours contre des refus ou à des retraits d’autorisations d’urbanisme.
Le conseil constitutionnel retient ensuite que la disposition en cause poursuit un intérêt général (« réduire l’incertitude juridique pesant sur les projets de construction et prévenir les recours dilatoires »). Il considère que la réduction du délai de recours gracieux ne concerne que la « procédure administrative » (non contentieuse) et ne remet donc pas en cause l’exercice du droit d’agir en justice. De façon plus discutable, il estime que « en prévoyant que l’exercice d’un recours administratif ne proroge pas le délai de recours contentieux en matière d’urbanisme, les dispositions contestées du second alinéa de l’article L. 600-12-2 n’ont, par elles-mêmes, ni pour objet, ni pour effet de priver les personnes intéressées de la faculté de former un recours contentieux contre une décision relative à une autorisation d’urbanisme » et que « ces personnes sont ainsi mises à même, dans le délai de recours contentieux de droit commun, de saisir le juge administratif pour contester la légalité d’une telle décision ». Enfin, il précise que « la circonstance que la réponse de l’autorité administrative au recours administratif d’un justiciable intervienne au-delà de l’expiration du délai de recours contentieux est sans incidence sur la possibilité dont celui-ci dispose de saisir par ailleurs le juge administratif dans un tel délai ». En d’autres termes, le requérant pourra toujours former un recours gracieux, mais il devra le faire en parallèle du recours contentieux, ce qui ne présente presque aucun intérêt.
Le conseil constitutionnel rappelle enfin « selon la jurisprudence constante du Conseil d’État, une disposition nouvelle qui affecte la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative est, sauf disposition contraire, applicable aux seuls recours formés contre les décisions intervenues après son entrée en vigueur. Dès lors, les recours gracieux ou hiérarchiques formés contre des décisions intervenues avant l’entrée en vigueur de la loi déférée conservent pour effet de proroger le délai de recours contentieux qui leur est applicable ». Il s’agit donc de la confirmation que le nouveau dispositif ne s’appliquera qu’aux permis intervenus après l’entrée en vigueur de la loi. Il sera toutefois préférable, pour le requérant prudent, de former directement un recours contentieux, afin d’éviter tout risque d’irrecevabilité.
